Le Monument-National, creuset de l’identité québécoise

Publié le 21 novembre 2016 par Benoit Beauchemin
Monument-National

Entrevue réalisée avec Sandra O'Connor du Monument-National en marge du Rallye des arts 2016.

Pour son 3e Rallye des arts, l’équipe de BAAM vous invite à découvrir un lieu culturel aussi magnifique qu’empreint d’histoire : le Monument-National. L’édifice, qui fêtera ses 125 en 2018, a été au centre de grands mouvements et moments culturels, politiques et sociaux. Appartenant aujourd’hui à l’École nationale de théâtre du Canada, il est aujourd’hui un lieu de formation artistique, de diffusion culturelle professionnelle et de rassemblement situé au cœur du Quartier des spectacles. Survol d’une histoire fascinante en compagnie de Sandra O’Connor, directrice du Monument-National.

Pourquoi le Monument-National porte-t-il ce nom?
Le contexte sociodémographique, économique et politique du Montréal des années 1880 a permis l’émergence de l’idée de « Monument-National ». À cette époque, la population de Montréal était majoritairement francophone, mais toutes les dimensions de la vie publique, elles, se vivaient en anglais. L’élite politique et économique, donc les personnes détenant le pouvoir, étaient en majorité anglophones, et tous les théâtres de la ville présentaient des spectacles en anglais.

L’avocat et journaliste engagé Laurent-Olivier David (1840-1926), comme plusieurs de ses compatriotes, craint la disparition des francophones à Montréal. Pour lui, la survie de la culture francophone dépendait de la possibilité des Canadiens français de se réunir, de s’instruire et, surtout, de célébrer leur culture. La construction d’un « Monument » célébrant la culture francophone devenait essentielle. L’Association Saint-Jean-Baptiste, dont L.O. David est membre, a porté le projet. Le bâtiment fût inauguré le 24 juin 1893.

Le Monument-National faisait partie d’un projet beaucoup plus vaste...
Le boulevard Saint-Laurent formait un genre de « ligne de faille » entre la communauté anglophone, établie à l’ouest, et la communauté francophone, établie à l’est. L’idée était donc non seulement d’établir l’emprise des francophones sur l’artère avec le Monument-National, mais qu’il surplombe une grande place digne des capitales du Vieux-Monde.

Cette place, similaire aux Champs Élysées, devait être bordée de commerces au nord et au sud et être délimitée par le Monument à l’ouest et l’Opéra de Montréal à l’est, rue Saint-Denis. Seul le Monument a pu être réalisé. Son architecture, une oeuvre Joseph Venne, est un amalgame unique d’influences néo-baroques et maniéristes. À l’époque, cela tranchait franchement avec style victorien en vogue!

En quoi le bâtiment d’origine diffère-t-il de ce qu’on y retrouve aujourd’hui?
Plusieurs modifications importantes ont été apportées lors du grand projet de réfection qui a eu lieu en 1993. En 1893, le bâtiment comprend des espaces répondant aux besoins et ambitions de l’époque, comme par exemple une immense salle de spectacle comptant près de 1500 places. Cette salle, aujourd’hui le plus ancien théâtre encore en opération au Canada, s’appelle maintenant la Salle Ludger-Duvernay et sa capacité a été réduite à 800 places. L’édifice abritait aussi des commerces donnant sur le boulevard Saint-Laurent et un ensemble de plus petites salles de réunion où pouvaient se tenir des rassemblements, des formations et des cours destinés à la formation.  Beaucoup de ces espaces ont été réaménagés au fil du temps.

Pour sa part, le Studio Hydro-Québec a été créé en éliminant le plancher de ce qui était à l’origine deux espaces différents : le Musée Eden et le Starland.

Poster Musée Eden

Parlez-nous de la vitalité culturelle qui anime le Monument à l’époque. 
De son inauguration jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, la « salle des fêtes » a vu défiler les plus grands noms du théâtre et de la chanson, ainsi que des combats de luxe et de boxe qui attirent des milliers de spectateurs. Le premier spectacle marquant est donné en 1896 par la cantatrice Emma Albani (Emma Lajeunesse), étoile de l’opéra et première grande vedette internationale canadienne-française. S’y produisent ensuite, dans le désordre, des vedettes comme Alys Roby, Édith Piaf, Félix Leclerc, Charles Trenet, Charles Aznavour, la Bolduc et j’en passe!

Le Starland débute en 1907 et inaugure la carrière burlesque Monument-National, qui s’impose comme la scène majeure de ce genre. C’est là qu’Olivier Guimond père a connu ses plus grands triomphes montréalais. Son fils ainsi que Rose Ouellette s’y sont produits. Dans ses années moins fastes, suivant la Deuxième Guerre mondiale, le lieu est devenu un bar de striptease… puis a éventuellement fermé.

Pour sa part, le Musée Éden était un « musée à 10 sous » familial qui présentait des scènes issues de l’histoire ou des actualités de l’époque. Ainsi s’y côtoyaient des personnages de cire représentant des colons français, des « Amérindiens » et des criminels notoires de l’époque. Imaginez le parcours! Le Musée a aussi été un cinéma. 

Dès les débuts, le Monument-National a ouvert grand les portes aux communautés culturelles et à une pluralité de formes d’art… Ce qui est assez innovant pour l’époque.
En effet! Cette ouverture, qui est née d’une réalité économique, s’est vite retrouvée au cœur de l’identité du Monument-National. L’ASJB ne recevait pas de soutien gouvernemental et l’exploitation du théâtre coûtait cher… Les propriétaires ne refusaient donc pas d’opportunité de location.

Le Monument est investi par les francophones, mais également par les communautés environnantes de nouveaux arrivants. Par exemple, les juifs ayant fui l’Europe et s’étant établis le long du boulevard Saint-Laurent à la fin des années 1800 adoptent vite les lieux, au point où le Monument-National devient le deuxième plus important théâtre Yiddish en Amérique du Nord jusqu’en 1950! La communauté chinoise y tient aussi plusieurs spectacles et événements. Les Irlandais, majoritairement catholiques, se sentent près des Canadiens français qui partagent leur religion. Entre 1894 et 1915, le MN a toutes les apparences d’un centre communautaire irlandais!

Car le Monument-National n’était pas qu’un lieu de diffusion artistique…
Ce n’était qu’une partie de sa vocation! L’idée était également de donner à la communauté les outils pour se déployer, s’organiser, s’élever. Ainsi, le Monument-National a été le berceau du mouvement féministe au Québec, avec Marie-Gérin Lajoie comme figure de proue. Il a été aussi le lieu de rassemblement privilégié des mouvements se portant à la défense des travailleurs.

Le Monument-National a aussi accueilli sur sa scène de grands orateurs qui ont agi sur la destinée du Québec , comme Honoré Mercier, Lionel Groulx et, plus tard, Pierre Bourgault… Henri Bourrassa a fondé le journal Le Devoir ici même en 1910 et y a prononcé un discours mémorable. Comme le dit l’auteur du livre « Le Monument Inattendu », Jean-Marc Larrue « On pourrait refaire l’histoire houleuse du pays à la simple lecture des discours qui ont été prononcés au MN, au cours de ses 50 premières années d’existence ».

L’éducation prend aussi une place importante dans tout cela?
L’ASJB a fait du Monument-National un centre majeur de formation et d’animation populaire où était fourni à tous ceux et celles qui le désiraient un enseignement de base pour les aider à améliorer leur situation socio-économique. Des cours pratiques et théoriques, allant du français à la mécanique en passant l’histoire, l’art dramatique et la littérature, y étaient offerts.  Fait peu connu : le Monument-National a vu naître les versions embryonnaires de l’École des hautes études commerciales (HEC), de l’école Polytechnique, de l’école des Beaux-arts, aujourd’hui intégrée à l’UQAM, et du Conservatoire d’art dramatique. 

Et ceci nous ramène curieusement à la vocation actuelle des lieux!
Vous avez raison, car le Monument-National sert aujourd’hui de lieu de formation et de diffusion pour les étudiants de l’École nationale de théâtre du Canada, tout en continuant d’accueillir en location des productions culturelles variées, dont les programmations de festivals et compagnies comme le FTA, Offta, Juste pour rire, les Coups de théâtre, Tangente, le FIJM, Mutek et j’en passe. Nous accueillons aussi des événements privés et de la formation offerte par des syndicats, des compagnies privées et des organismes de service. Le triumvirat diffusion artistique-formation-rassemblement populaire est toujours présent.

Balcon Ludger-Duvernay / Credits: Serge Parer

Quels rêves le Monument-National porte-t-il pour l’avenir?
Alors que nous nous approchons du 125e anniversaire, nous voulons asseoir encore davantage notre rôle comme creuset d’innovation et de foisonnement culturel; et centre de rassemblement pour la communauté montréalaise. Nous pouvons y déployer l’expertise incroyable en enseignement du théâtre présente à l’ÉNT pour rendre la pratique du théâtre accessible à une plus grande partie de la population, tout en soutenant le développement d’artistes professionnels… Toutes sortes de possibilités de collaboration avec le milieu se profilent, nous donnant aujourd’hui l’occasion de transformer le Monument-National en véritable « hub » de création et d’expérimentation, et ce, pour les artistes venus de partout au Canada. 

Joignez-vous à nous lors du Rallye des arts le 30 novembre prochain au Monument-National en vous procurant un billet!

Benoit  Beauchemin Billet par : Benoit Beauchemin